terça-feira, 8 de setembro de 2009

«Business Girls of Bukhara»

Écrire un récit de mission, surtout dans des pays lointains comme c’est le cas de l'Ouzbékistan, est toujours travail facile car, malgré le poids de leur histoire, ni les pays ni la région d'Asie Centrale ne sont pas encore très connus des occidentaux. La région n’est «réapparue» sur les cartes des européens - surtout pour les moins habitués à s'aventurer dans des endroits moins exotiques – qu’après le 11 septembre 2001.
La charge de travail qui nous attend chaque fois qu'une nouvelle mission démarre est très souvent raison forte pour qu'on passe à côté de situations qui, loin d'être étranges à ce qui nous concerne du point de vue opérationnel, sont aussi intéressantes que les aspects les plus directement liés à ce qui nous amène au pays.
Boukhara (ville musée de l’Ouzbékistan) est un de ces endroits d'Asie Centrale chargés d'histoire où nous nous retrouvons tous autour d'un "caravansérail" qui a probablement accueilli nos ancêtres qui partaient à la recherche d'épices et d’autres sources de commerce de l'autre côté du monde encore mal connu. Les caravanes ne sont plus là mais le visiteur peut encore sentir l'odeur des épices ainsi que respirer et vivre le mystère que seule l'Histoire est capable de nous raconter.
On dit que l'Office de Tourisme de Boukhara a décidé- il n'y a pas longtemps - "d'équiper" le centre des "caravansérails" avec du sable, des gens habillées selon la tradition de la région et aussi des chameaux. Les touristes aimaient toute cette mise en scène. Cependant les chameaux étaient malheureux.  Le 11 septembre a écarté les touristes de ces parages. Résultat, les chameaux ont été ramenés au désert et les touristes se font de plus en plus rares. Dommage, car Boukhara mérite non pas une visite rapide mais bien plus que ça. Ses monuments sont toujours imposants, relativement bien conservés et à eux seuls racontent beaucoup de ce qui a été notre passé.
Pour cette mission de décembre 2004 Boukhara a décidé de me faire un « cadeau-surprise ». La promenade jusqu'au "bazaar" n'annonçait rien de particulier ce matin "frigorifiant" où il fallait se couvrir les oreilles par peur de les voir tomber par terre en petits éclats. Il n'y avait pas de neige comme à Tashkent (la capitale de l’Ouzbékistan) mais le froid était comme un couteau, même à l'intérieur du "bazaar" qui, vide de touristes, n'avait comme source que la chaleur de l'hospitalité des rares commerçants qui insistaient en proposer toujours de très bons produits, d'abord à un prix ("starting price") pour ensuite être négocié de façon à arriver à quelque chose de plus raisonnable. Ils disent que le commerce est comme un jeu: « il faut toujours jouer et tout le monde sort toujours gagnant ».
Tout d’abord je me suis intéressé à des "chapkas" (les chapeaux en fourrure typiques dans presque tous les pays de l'ex-URSS). Le choix était relativement grand, mais les prix tellement différents ne sont pas compatibles avec une couse rapide - ou alors c'est mon caractère de négociant qui m'empêche de laisser échapper les bonnes affaires. A peine les premières discussions entamées que déjà mon guide, la très compétente et sympathique Gulia (diminutif de Gulnara, prénom très commun en Ouzbékistan, surtout parmi les peuples d'origine russe) me conseille de faire tout d'abord un grand tour dans le "bazaar" pour pouvoir avoir une idée plus générale de ce que je peux trouver et ensuite acheter le meilleur au meilleur prix.
Et le cadeau surprise encore emballé dans sa boîte froide de cette fin de matinée ne se faisait pas attendre. Une fillette s'approcha en m'annonçant qu'elle aussi avait un "business”. En quelques mots elle m'a fait promettre que je viendrais la voire pour acheter aussi ses produits. Son anglais était simplement parfait, avec un petit accent américain. Oltanay "Golden Moon" était sympa et savait bien conduire le touriste qui cherche ses souvenirs, mais elle devait aussi faire face à la concurrence en même temps des adultes et des autres enfants aussi percutants dans leur business. Il fallait alors être convaincante et me faire promettre que je reviendrais la voir.
Gulia me conduisit à travers le bazaar où nous nous sommes engouffrés à la recherche d'un bon tapis ou alors des petits potirons séchés et cirés que je choisis toujours pour remplir d'un mélange d'épices. Le but est de pouvoir sentir intimement l'Asie Centrale après mon retour à Bruxelles. Cette odeur spéciale qui me fait remonter la machine du temps et partir dans mes rêves vers les parages auparavant peuplés de gens comme Marco Polo, Clavijo, Avicenne, etc. Les tapis, ça aussi vaut le détour. La plupart viennent du Turkménistan, mais beaucoup de modèles correspondent aux dernières instructions du dernier Emir de Boukhara avant sont départ vers l'Afghanistan où il est décédé en 1944. Le tapis "teka" montre des dessins de pattes d'éléphant stylisées, ce qui lui permet d'être facilement identifiable. Il faut beaucoup chercher car les prix ainsi que la qualité varient considérablement.
Le temps dans ce dimanche à Boukhara passe tellement vite que l'heure d'aller manger un petit "shashlik" ne se fait pas attendre. L'odeur de la préparation des "shashlik" est partout car les grillades se font toujours à l'extérieur. Et oui, l'Asie Centrale est pleine d'odeurs, ce qui fait une atmosphère un peu spéciale, inoubliable, qui nous incite déjà au prochain retour.
L'expérience de la veille au soir à l'Hotel Karavan ne laisse point de marge de choix, car le diner dans un endroit pareil ne doit pas se présenter comme un simple rituel gastronomique mais bien au contraire comme une nouvelle opportunité de partager les traditions d'un peuple roi en hospitalité et en Histoire. Zevar et son mari Ikrom, les propriétaires du Karavan ont montré le jour de mon arrivé à Boukhara une envie inattendue de me raconter tout ou presque tout sur ce qui leur entour, notamment sur les différentes façons de préparer les plats savoureux et délicieux que Zevar espère ira satisfaire son hôte.
Le retour à l'endroit des "business" proche de la grande mosquée, de la madrasa et du grand minaret de Boukhara était programmé, mais sans penser que les mêmes fillettes de tout à l’heure restaient en attendant celui qui était probablement le seul touriste à Boukhara ce jour-là Les touristes qui étaient arrivés dans la matinée étaient partis très probablement sans y laisser trop de traces, sauf le paiement de l'entrée dans la grande mosquée et l'achat de quelques souvenirs. Boukhara était vide. Ses habitants retrouvent le calme d'antan mais les commerçants ne sont pas pour autant très satisfaits car les gens locaux n'ont pas ni le pouvoir d'achat ni les besoins d'un touriste (même celui d'un jour) pour faire marcher l'économie fragile de la ville.
A l'arrivée à l'endroit des "chapkas" de la matinée Oltanay m'aborde de nouveau en ma rappelant que je lui avait promis du "business". Mon idée était de faire encore une fois le tour du bazaar pour prendre la distance nécessaire avant de commencer à remplir le petit sac en « rafia » de mauvaise qualité acheté le matin pour compenser le manque de valises suffisamment grandes. Le bagage devait se préparer avec soin car les 20 kilos autorisés par Uzbek Airways pouvaient être soit strictement contrôlés soit largement dépassés, en fonction de la bonne humeur du fonctionnaire en charge du "check-in" pour le vol de la soirée Boukhara-Tashkent.
Mon refus de "business" n'était pas liminaire, mais « Oltanay l'a compris comme ça. Sa déception était énorme ainsi que celle de ses copines, des gamines entre les 12 et les 15 ans, toutes plus ou moins de la même taille mais aussi avec la même énergie que Oltanay. Les filles m'on fait savoir qu'elles m'attendaient depuis la matinée pour que je puisse acheter aussi chez elles, et non pas seulement chez les plus grands. J'ai beau expliquer que je reviendrais un peu plus tard; que c'était une question de faire encore un tour du marché, etc., etc, mais les filles avaient compris que je n'achèterais plus rien chez elles.
C'est alors Oltanay  m'écarte du cercle, me regarde d'un air très grave et sérieux et me dit: "Monsieur, vous avez l'air d'être plus âgé que moi. Pourquoi vous ne respectez pas votre engagement? Why don't you keep your promises? Me dit-elle en anglais."
Ces paroles m'ont complètement frigorifié, et je suis sûr qu'elles auraient eu le même effet même s'il faisait plus chaud ce jour à Boukhara. Entendre une petit gamine me rappeler à la raison, puisque quelques heures auparavant j’avais promis quelque chose et maintenant j’essayais de "fuir" encore une fois, était plus fort qu'un coup de foudre. Son anglais n'était pas proportionnel ni à son âge ni à sa condition de petite fille de Boukhara, où très certainement les écoles ne sont pas préparées pour un investissement sérieux en "Business English for Young Business Girls".
Dans le cas où je n'aurais pas compris son anglais, d'ailleurs parfait, Oltanay me parla dans un français simplement directement importé de la région parisienne, sans accent autre que celui des français de bonne souche. Résister au charme d'un abordage de cette nature était devenu mission presque impossible, sans blesser ce que la société a encore de plus pur et de plus noble: la jeunesse. Ma condition de gestionnaire de projets dans le secteur du développement de ressources humaines est montée au plus haut dans mon intérieur pour me rappeler que le boulot ça peut arriver n'importe où et n'importe quand. Il fallait surtout ne pas décevoir ces jeunes filles si dévouées à leur "business" et si professionnelles, mais aussi tellement bien élevées, comparées à ce qu'on voit dans pas mal d'autres destinations touristiques.
La question à difficile solution - loin d'être une question d'argent - était de savoir quoi acheter et à combien d'entre elles. Le choix n'était pas terrible car les produits étaient presque les mêmes sur toutes les écharpes étalées par terre où les petits bonhommes ouzbèks en terre cuite, les coussins, les tasses en céramique, etc., se répétaient. Acheter à une voulait dire acheter à toutes les autres, ce qui était irraisonnable étant donné le poids et le volume de toutes ces petites pièces, qui venaient s'ajouter aux courses de la matinée.
Oltanay m'a expliqué que l'après midi allait déjà très loin et qu'il ne fallait pas oublier que le lendemain les filles devaient aller à l'école. Il ne faut pas oublier non plus qu'il faisait très froid, raison pour laquelle elle avait mis à l'abri toutes ses pièces. Oltanay m'a alors invité à visiter son "magasin" qui se trouvait dans un patio intérieur. A mon hésitation de m'engouffrer dans un endroit inconnu, alors qu'il commençait déjà à faire un peu noir, Oltanay me rappelle que sa ville est très sûre, que son entourage est très gentil et que je ne dois rien craindre. Je la suis ainsi que toutes ses copines. A peine arrivés dans le patio, quelqu'un arrive avec la marchandise. La même que toutes les autres à l'extérieur.

Je décide alors d'acheter deux ou trois pièces pour ne pas décevoir Oltanay, mais tout de suite les autres "business girls" me rappellent que j'ai aussi promis de leur acheter quelque chose. Oltanay accepte la petite quantité de mes achats mais se montre plus difficile pour le prix. Le principe est toujours le même: faire business est comme un jeu; on commence par un prix, ce qui ne vaut pas dire qu'il s'agit du dernier prix. Le client doit aussi proposer son prix. Ça fait aussi partie de mon jeu, mais Oltanay m'invite gentiment à ne pas rester bloqué sur ma proposition et à me rapprocher de son prix initial. C'est, m'explique-t-elle, la meilleure façon d'arriver à un accord. Après quelques tentatives des deux côtés l'accord est possible et les bibelots son payés. Maintenant il faut faire face aux autres "Business Girls". Sortir du patio et rentrer au Karavan n'était pas une question de distance (200 mètres), mais une affaire de respect pour toutes ces filles "entrepreneurs" qui ne cherchent qu'à ramener chez elles un peu d'argent qui permet d’adoucir leurs difficultés ainsi que celles de leurs familles.
De toutes les filles qui avaient des articles à vendre seules trois n'avaient pas eu encore la chance de leur côté. Leurs produits étaient un peu plus chers que les autres (question de quelques sums - la monnaie locale) et surtout n'ajoutaient rien de nouveau à la déjà longue liste de ce que j’avais acheté.
Les trois filles ont quand même décidé de tenter leur chance en m'accompagnant jusqu'au Karavan. La route n'était pas longue (environ deux cents mètres) mais les filles savaient très bien "arrondir les bords". Ainsi, passant de l'anglais au français, avec quelques incursions par l'italien et l'allemand et même quelques mots de portugais, notre conversation a touché des sujets tels que le type de vie que j'ai en Belgique, ce que je fais, ce que font mes enfants, etc.

Le niveau de conversation était simplement étonnant. Rien de comparable à des phrases préparées pour le touriste. Les filles sont rusées pour leur négoce, mais ont aussi un petit quelque chose de spécial pour montrer que quelque part dans le monde l'intelligence des peuples ne doit jamais être sous-estimée. Les filles arrivaient à me parler de leur système d'éducation et de leur style de vie dans des langues si étrangères mais aussi tellement proches de leur niveau intellectuel que la leçon valait bien la peine. Et c'est ainsi que leur "business spirit" n’a pas été déçu. Je l'espère...
Boukhara, Ouzbékistan
décembre 2004

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